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IFRS 9 : le dilemme des assureurs

Alors que l’Union Européenne n’a toujours pas adopté la norme IFRS 9 (une décision est attendue d’ici la fin du premier semestre de cette année), la possibilité offerte à certains assureurs d’en reporter l’application dans leurs comptes consolidés au-delà du 1er janvier 2018 pose le problème de la comparabilité des comptes et de possibles « distorsions de concurrence » au sein de l’assurance européenne. Face à l’accroissement de volatilité dans le compte de résultat induit par IFRS 9 et dans l’attente de l’Arlésienne (la future norme IFRS 4 phase 2 sur les contrats d’assurance), les débats sont animés.

Au cœur des préoccupations, l’équilibre actif-passif

L’équilibre actif-passif est une problématique centrale chez les assureurs : à la croisée des chemins de la gestion des risques et du pilotage stratégique, il permet d’assurer qu’à tout moment au cours de la vie des contrats les placements dans lesquels les primes ont été investies à l’actif permettront de garantir (en devise, en valeur, en duration et en rendement) les engagements pris au passif vis-à-vis de assurés. Cette gestion dynamique a pris une acuité particulière ces dernières années, du fait de l’environnement durable de taux bas observés, notamment pour les assureurs vie, dont les contrats sont orientés vers l’épargne de longue durée. À défaut d’être prédictibles, les évolutions et la structure des portefeuilles de placements doivent a minima pouvoir être anticipées et pilotées.

À ce titre, les règles de valorisation respectives des placements et des provisions techniques peuvent également générer des déséquilibres, qui sont susceptibles de se traduire par des variations significatives du compte de résultat. Lors de la 1ère application des IFRS, ces déséquilibres avaient pu être fortement atténués par les assureurs vie au moyen de la « comptabilité reflet » : face à des titres majoritairement évalués à la juste valeur, la participation aux bénéfices différée permettait d’ajuster les provisions techniques à hauteur d’une part significative (en moyenne 90%) des plus ou moins-values latentes constatées à l’actif. Problème : la comptabilité-reflet disparaîtra avec l’avènement d’IFRS 4 phase 2.

Et c’est bien là que se concentrent les enjeux des débats sur le report d’application d’IFRS 9 pour les assureurs : comment réaliser de façon optimale une allocation d’actifs par modèle économique sans savoir comment se comporteront les passifs des contrats avec participation aux bénéfices sous IFRS phase 2 ? En outre, dans l’hypothèse où la future norme des contrats d’assurance verrait enfin le jour, son application ne serait envisagée que vers 2021, avec très peu de possibilités de revenir sur les choix opérés au 1er janvier 2018 à l’actif.

Report ou overlay ?

Ces questions, promptement relayées auprès de l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) par les lobbyistes de la profession, ont attiré l’attention du comité technique européen. Le 15 septembre 2015, l’EFRAG a en conséquence émis un avis favorable à la publication de l’IFRS 9 pour une application générale le 1er janvier 2018 au niveau européen, à l’exception des activités d’assurance. En effet, selon le communiqué de l’EFRAG, l’application d’IFRS 9 avant la nouvelle norme IFRS 4 phase 2 peut créer une discordance comptable et réduira la qualité de l’information financière ; en conséquence, il est demandé à l’IASB de tenir compte de cette problématique et de proposer des solutions pour limiter les décalages comptables anticipés.

L’IASB a en retour publié en décembre 2015 un exposé-sondage proposant deux solutions pour répondre aux difficultés posées par le décalage entre les dates de première application respectives d’IFRS 9, prévue pour 2018, et d’IFRS 4 phase 2, annoncée pour 2020/2021 :

  • un « différé temporaire d’application » (deferral) d’IFRS 9 jusqu’en 2021. Cette solution ne serait ouverte qu’aux groupes dont l’activité prédominante est d’émettre des contrats actuellement soumis à la norme comptable IFRS 4. Ainsi, les sous-groupes assurance de groupes bancaires seraient de facto exclus. Par ailleurs, la qualification d’activité prédominante par le biais d’un ratio quantitatif (passifs d’assurance/total des passifs > 75% calculé sur le bilan d’ouverture en 2018) pourrait même exclure de nombreux groupes d’assurance ;
  • une approche dite « overlay », ouverte à tous. Elle implique d’appliquer la norme IFRS 9 au bilan mais corrige le compte de résultat de l’impact de volatilité induit par IFRS 9 par rapport à IAS 39, par reclassement de cet impact en capitaux propres. Cette approche, complexe et assez peu orthodoxe sur le plan comptable, revient à maintenir IAS 39 en plus des traitements IFRS 9 et pose le problème du coût et de la communication financière associée.

Définir un terrain de jeu commun

Cette alternative pose clairement le problème de l’égalité de traitement entre les groupes qui seront éligibles au report d’application d’IFRS 9 et ceux qui n’auront d’autres choix que l’application de la norme au 1er janvier 2018 (si cette date est confirmée par l’Union Européenne) ou l’approche overlay. Cette dernière soulève de nombreuses critiques (complexité, maintien d’IAS 39 en parallèle d’IFRS 9, persistance du décalage des dates d’application avec IFRS 4 phase 2, communication financière « brouillée »). Dès lors, il est probable que peu de groupes y auront recours. Pour ceux qui opteront pour l’application directe d’IFRS 9, la comptabilité-reflet permettra, a minima jusqu’à l’application d’IFRS 4 phase 2, de limiter la volatilité induite par IFRS 9.

La grande perdante sera, une fois de plus, la comparabilité, avec des effets potentiellement significatifs sur l’information financière restituée aux marchés, et donc, sur l’accès aux financements. Entre les groupes d’assurance non éligibles et les filiales d’assurance des groupes bancaires, les voix ne manquent pas pour critiquer l’exposé-sondage de décembre 2015 et ses critères souvent considérés comme arbitraires. Malgré cela, il semble peu probable que l’Europe accorde un délai d’application supplémentaire, tant IFRS 9 est attendue par les banques, voire un hypothétique carve out*.

Cette « distorsion de concurrence », alors que nombre de groupes et sous-groupes d’assurance ont émis (et réémettront) des dettes subordonnées à durée indéterminée pour couvrir une partie de leur exigence de capital cible dans le cadre de Solvabilité 2 ne laisse pas d’étonner. Peut-être faut-il y voir la lassitude (et probablement surtout l’aveu d’impuissance) de l’IASB face au projet « Contrats d’assurance », qui dure depuis près de 20 ans sans qu’aucun consensus définitif ait jamais pu être trouvé à ce stade. La décision des autorités de Bruxelles est donc scrutée avec attention.

 

*carve-out : la Commission Européenne a adopté en 2004 une version partielle d’IAS 39, généralement appelée carve-out, qui permet aux banques de continuer à appliquer une comptabilité de macrocouverture globale correspondant à leur pratique de gestion, et ce sous forme de couverture de juste valeur de leur portefeuille, alors qu’IAS 39 interdit la couverture de juste valeur sur une exposition nette constituée de dépôts remboursables à vue.

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