Le contexte économique actuel avec des taux historiquement bas préoccupe le régulateur au regard du risque de taux d’intérêt. C’est pourquoi les modalités de gestion du risque de taux d’intérêt sont mises à jour dans le cadre du Pilier 2. Deux textes significatifs ont été rédigés à cet égard :
- Le document de l’ABE[1] qui présente les lignes directrices relatives à la gestion du risque de taux pour mise en application en janvier 2016. L’ABE demande notamment :
- Une distinction claire entre banking book et trading book
- Un calcul de la sensibilité de la valeur économique selon le choc standard[2]
- Une production d’au moins un indicateur de revenu et un indicateur de valeur, les indicateurs devant être dynamiques
- De calculer le capital économique au titre du risque de taux en distinguant la part affectée au titre de la valeur économique actuelle te celle au titre des revenus futurs.
- Le Comité de Bâle qui a réalisé deux documents consultatifs en 2015, complétés par un QIS sur les données en juin 2015.
Sur les options proposées par le Comité de Bâle, 2 options étaient envisagées : intégrer le risque de taux dans le Pilier 1, ce qui a amené une réaction rapide de la communauté des banquiers. Les Echos dans son édition du 15/09/15 parlait de “tir de barrage des banques” à l’idée d’une exigence supplémentaire dans le cadre du Pilier 1. En effet, l’option 1 pouvait avoir des impacts significatifs sur l’offre commerciale des banques, les banques pouvant alors être incitées à évoluer vers des offres à taux variables pour limiter l’impact prudentiel des évolutions règlementaires.
Le comité de Bâle vient de publier le 21 avril 2016 un document « Standards Interest rate risk in the banking book » qui met à jour le précèdent rapport de 2004[3]. L’objectif dorénavant est d’affiner la méthode standard au titre du Pilier 2, ce qui permet d’adapter le dispositif de gestion des risques au business model des banques. Ce document révise ainsi les Principes définis dans le document de 2004 afin d’aider les banques à se prémunir contre une variation défavorable des taux d’intérêt. Nous proposons ci-après de préciser les grandes lignes de ce document qui vient compléter le document de l’ABE.
1. Définition de l’IRBB
Le risque lié à l’IRRBB réside dans l’impact de toute évolution significative des taux d’intérêt sur le capital et les résultats de la banque. Une évolution des taux peut avoir un impact important sur la valeur de certains actifs, passifs et éléments de hors-bilan.
Pour calculer la valeur des éléments du banking book , 2 méthodes sont traditionnellement utilisées :
- La méthode du coût amorti (valeur qui se base sur les couts initiaux moins les éventuelles dépréciations, et ceci selon la maturité de l’élément)
- La valeur de marché (fair/market value) (basée sur la valeur de marché quant elle existe ou la valeur nette actualisée des cash flow attendus )
Les éléments comptabilisés à la valeur de marché sont par nature plus sensibles aux facteurs externes dont les variations de taux d’intérêt.
Ce qui signifie qu’à aujourd’hui une évolution des taux ne serait que très faiblement pris en compte dans la valorisation du bilan quant aux éléments valorisés au coût amorti.
2. Des précisions sur le dispositif de gestion du risque (dont les scénarios)
L’objectif des principes (notamment 4 à 6) du document du BCBS est d’améliorer le dispositif global de gestion et d’encadrement de l’IRRBB. Les banques doivent également s’intéresser et suivre le CSRBB[4]. Eu égard à l’importance de ces risques, ils doivent bien évidemment être suivis et encadrés par les instances de gouvernance qui valident l’appétence pour le risque et définissent des seuils et des limites pour fixer la tolérance au risque.
Du fait de la technicité liée au risque de taux d’intérêt, les instances de gouvernance peuvent s’appuyer sur des experts du sujet pour définir notamment les indicateurs nécessaires au pilotage de ce risque et le type d’information qui facilite le suivi. Les experts ALM seront notamment sollicités. Les indicateurs de pilotage de risque doivent porter à la fois sur l’exposition en valeur et en revenu. Ils doivent s’accompagner d’une visibilité sur la qualité du dispositif de maîtrise des risques[5] lié à l’IRRBB. L’évolution de la stratégie et des nouveaux produits doit s’accompagner d’une anticipation des impacts potentiels en terme d’IRRBB afin d’être proactive dans la gestion de ce risque.
L’évaluation de l’IRRBB doit prendre en compte les résultats des scénarios de stress adaptés au profil de la banque[6] et la sensibilité afin de déterminer l’influence des variations de taux sur la structure du banking book. La gestion de l’IRRBB au niveau de la gouvernance doit clairement intégrer les hypothèses comportementales[7] et stratégiques et cette gestion doit accompagner le développement des activités. L’ensemble du dispositif doit être parfaitement documenté, compréhensible et respecter un processus adapté de validation. Les instances de gouvernance doivent être régulièrement informées des résultats des différents indicateurs/outils de mesure.
3. L’harmonisation des reportings
C’est là un des objectifs récurrents des récentes évolutions règlementaires : harmoniser les états règlementaires pour faciliter notamment la comparabilité des établissements financiers et faciliter la supervision. Les états sont relatifs à la fois au pilier 2 (pour le superviseur) et au Pilier 3 (à destination des différentes parties prenantes).
Le BCBS (principe 8) définit un format standard pour la publication des éléments quantitatifs relatifs aux variations de la valeur économique ainsi que des revenus dans chacune des devises significatives[8].
Pour les éléments qualitatifs, le format est laissé à la main des établissements. Il s’agit notamment de fournir des informations sur le profil de risque, la gouvernance, les hypothèses comportementales et les stratégies de couverture des portefeuilles et de décrire les scénarios.
4. Le calcul de la charge en capital
Une charge en capital spécifique (composante de l’ICAAP) doit être définie et validée par le conseil en lien avec l’appétence pour le risque (Principe 9). Cette charge se calcule à partir de méthodes et hypothèses définies par la banque (IMS). Les éléments tant quantitatifs et qualitatifs à prendre en compte pour ce calcul sont notamment :
- Le niveau de tolérance au risque qui se traduit par des limites internes sur l’IRRBB et le CSRBB
- L’efficacité des couvertures
- La pertinence des modèles dans la prise en compte de la sensibilité au risque
- Les facteurs de risque (endogènes et exogènes) pouvant remettre en cause les résultats actuels
- La sensibilité au risque de base en cas de choc de taux
- L’impact en capital en cas de pertes significatives
5. Les principes à destination du superviseur
Les principes 10 à 12 définissent les attentes quant à la supervision. Les superviseurs doivent ainsi surveiller le dispositif IRRBB sur une base régulière à partir des informations collectées sur les expositions en taux tant sur la valeur que sur les revenus. La standardisation des informations facilitera la comparabilité entre banque. Le principe 10 porte ainsi sur le suivi d’un choc standard.
Le superviseur doit par ailleurs s’assurer de l’efficacité du dispositif en termes de gestion du risque et d’adéquation du capital. Il s’appuiera si nécessaire sur des experts pour réaliser ces travaux de vérification. Les points de contrôle porteront sur l’identification, la mesure, la gestion et le pilotage du risque en fonction du niveau de complexité de l’actif et du passif. Les systèmes de validation interne des métriques IRRBB, les analyses de sensibilité et les back testing seront notamment testés ainsi que l’efficacité des couvertures mises en place. Un dispositif inefficace ou inadapté encourt le risque de voir ses contraintes renforcées.
Ainsi, le superviseur va publier les critères qui permettent de définir qu’une banque est à la marge par rapport aux attendus en matière d’IRRBB. Cela lui permet d’identifier les éventuels ‘outlier’ qui devront mettre en œuvre un plan d’action pour renforcer la solidité de leur dispositif et considérer l’éventualité de charge en capital supplémentaire tant que le plan d’action ne sera pas totalement efficace.
Ces évolutions doivent pouvoir être opérationnelles début 2018 sur base des informations au 31 décembre 2017. Elles portent sur les données consolidées. Elles nécessitent de la part des banques, là encore, de disposer d’un système d’information solide permettant de centraliser l’ensemble des données afin de pouvoir valoriser des indicateurs pertinents. L’outil doit pouvoir apporter une visibilité à la fois sur les indicateurs de type règlementaire et ceux permettant la gestion dynamique du risque de taux. Le choix parmi les options implicites et explicites peut également influencer la stratégie des banques par rapport aux différents produits porteurs de risque de taux qui, selon l’hypothèse retenue, pourraient engendrer demain du capital supplémentaire.
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[1] 26 mai 2015 – Guidelines on the management of interest rate risk arising from non-trading activities- EBA/GL/2015/08
[2] Le choc standard porte sur un choc parallèle de +/- 200 bps sur la courbe d’actualisation.
[3] Principles for the management and supervision of interest rate risk (BCBS, avril 2016)
[4] Credit Spread Risk in the Banking Book, voir notamment art 30 à 33 du document ABE
[5] « effective internal controls and management information systems (MIS) »
[6] Stress hypothétique et historique
[7] Les hypothèses comportementales sont essentielles notamment pour les options implicites
[8] Format standard de reportings des variations de valeur et/ou de marge. CF annexe du document de Bâle.