Le temps où la préoccupation principale des collaborateurs en charge du blanchiment portait principalement sur l’argent de la drogue et le financement du terrorisme semble loin. La réglementation élargit le périmètre et les enjeux. La sécurité financière cherche à concilier l’enjeu de conformité et l’intérêt public.
Nous proposons ci-après de faire le point sur les principales évolutions réglementaires de ces derniers mois.
1. L’application de la 4ème Directive(1) en France
C’est par l’Ordonnance 2016‐1635 du 1er décembre 2016 que la 4ème Directive est enfin transposée en droit français. Elle était déjà largement intégrée dans les dispositifs dès la publication de la 4ème Directive 2015/847 du 20 mai 2015.
Le périmètre des assujettis s’élargit comme l’illustre l’allongement de cette liste (art. 561-2)
Dans le cadre de la connaissance client, la notion de relation d’affaire a été précisée ainsi que celle de bénéficiaire effectif.
Les établissements définissent et mettent en place des dispositifs d’identification et d’évaluation des risques de LCB/FT (art 561-4) ainsi qu’une politique adaptée à ces risques. Ces dispositifs comportent notamment une classification des risques en fonction notamment de :
– La nature des produits ou services offerts ;
– Des conditions de transaction proposées ;
– Des canaux de distribution utilisés ;
– Des caractéristiques des clients ;
– Ainsi que du pays ou du territoire d’origine ou de destination des fonds.
Les établissements mettent en place, au niveau d’un groupe, une organisation et des procédures qui tiennent compte des risques identifiés par la classification des risques mentionnée à l’article L. 561-4-1.
L’exonération d’obligation de vigilance en cas de risque faible est remplacée par une obligation de vigilance simplifiée.
La vigilance renforcée doit s’appliquer
– Aux personnes politiquement exposées quel que soit leur lieu de résidence ;
– Au produit ou opération qui présente, par leur nature, un risque particulier de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, notamment lorsqu’il favorise l’anonymat ;
– Aux opérations et produits qui sont effectuées par des personnes enregistrées dans un état ou territoire listée par la Commission européenne.
Le dispositif COSI(2) est élargi à toutes les opérations présentant un risque élevé de blanchiment.
Le dispositif se trouve complété par un renforcement du rôle de TRACFIN (déjà accru lors de la loi de juin 2016) et des pouvoirs de sanction qui augmentent (Cf rôle de la commission des sanctions(3) de l’ACPR).
En conclusion, cette ordonnance ne constitue par une révolution mais les précisions qu’elle apporte constitue une opportunité de s’assurer que les dispositifs existants sont bien conformes aux attentes. Elle illustre également l’importance de dispositifs efficaces de supervision et de sanctions pour donner toute son autorité à la règlementation.
2. L’accroissement des listes de surveillance
1. La Commission européenne souhaite aider l’approche par les risques des établissement et c’est dans ce contexte qu’elle a publié une liste des pays à haut risque de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme (14 juillet 2016) venant ainsi en complément de la vigilance renforcée définie dans la 4ème directive.
Cette liste comporte 11 pays qui sont généralement déjà considérés comme des pays à risque élevé par les établissements sur les recommandations du GAFI(4) :
– L’Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine, Guyana, l’Irak, le Laos, la Syrie, l’Ouganda, Vanuatu, le Yémen, l’Iran et la Corée du Nord.
Pour l’établissement de cette liste, la commission s’est appuyée d’une part sur les recommandations du Gafi et d’autre part sur les critères suivants :
– Les déficiences des dispositifs nationaux en matière de LCB/FT et la faiblesse des dispositifs répressifs ;
– Le faible pouvoir des instances de régulation locale pour faire appliquer les dispositifs attendus en matière de LCB/FT.
Les établissements qui entreraient en relation ou qui généreraient des transactions avec des personnes physiques ou morales résidant dans ces pays se doivent donc d’appliquer des mesures de vigilance renforcée.
2. La vigilance doit également être renforcée dans le cadre des transactions/opérations réalisées avec des tiers basés dans un des pays de la liste des États et Territoires Non coopératifs (ETNC) visés par l’article 238-0 A du Code Général des Impôts pour 2016 (Arrêté du Ministre de l’Économie du 8 avril 2016). La liste des 7 paradis fiscaux est ainsi composée de :
– Bostwana, Brunei, Guatemala, Iles Marshall, Nauru, Niue et Panama.
3. Dans le cadre de la transposition en droit français de la 4ème Directive, le décret n°2016‐1793 du 21 décembre 2016 vient préciser les modalités de communication (date de départ et durée) par TRACFIN de liste de personnes physiques et/ou morales présentant des risques élevés de blanchiment/financement du terrorisme et venant ainsi compléter les listes de surveillance.
4. Enfin il ne faudrait pas oublier l’arrêté du 27 juillet 2011 relatif à la liste des pays tiers équivalents(5) qui comprend les pays non membres de l’Union européenne qui disposent pour les échanges transfrontaliers d’une équivalence en matière de législation LCB/FT ainsi qu’une reconnaissance d’un niveau suffisant sur la protection des données à caractère personnel.
3. Le renforcement des mesures de gel des avoirs (6)
Une loi et une ordonnance viennent renforcer le cadre règlementaire quant aux mesures relatives au gel des avoirs. La loi n° 2016‐731 du 3 juin 2016 visait à renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et à améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. L’ordonnance 2016‐1575 du 24 novembre 2016(7) vient modifier le code monétaire et financier sur le processus de gel des avoirs(8).
Le périmètre des avoirs concernés par le gel s’étend dorénavant aux avoirs mobiliers (voiture par exemple(9)) et immobiliers qui ne sont pas des fonds(10) mais qui peuvent permettre d’en obtenir.
Le périmètre des personnes assujetties s’élargit également à toutes les personnes morales de droit public, aux organismes chargés de la gestion d’un service public ainsi qu’à toutes les caisses et organismes chargés de la gestion d’un régime de protection sociale(11).
Les décisions de procéder à des mesures de gel des avoirs peuvent provenir d’une part des autorités françaises et d’autre part de décisions européennes voire de mesures de gel décidées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Les fonds peuvent être débloqués sous des conditions très précises (Art. L. 562-11 du CMF).
Dans le cas du droit au compte, l’établissement qui a été désigné doit ouvrir le compte après avoir obtenu l’autorisation du ministère compétent. Le cas échéant, cette autorisation indique les services bancaires de base que l’établissement de crédit fournit à cette personne(12).
Enfin, il est important de se reporter à la ligne directrice de l’ACPR sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs (juin 2016)(13).
4. La lutte contre la corruption
Si les établissements financiers se préoccupaient de l’origine des fonds des clients pour s’assurer que l’argent est licite et qu’il ne provient pas notamment de la corruption (cf suivi des personnes politiquement exposées), la prévention de la corruption s’invite dorénavant au sein des établissements dans le cadre leur propre politique de prévention de la corruption à l’instar de toutes les entreprises (loi dite Sapin 2(14)).
Outre les sujets relatifs à la protection des lanceurs d’alerte (chapitre 2), à la transparence des rémunérations et des activités des entreprises pays par pays, à la création d’un répertoire numérique des “représentants d’intérêt” (encadrement des actions de lobbying) sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le thème de la corruption s’invite de manière explicite au sein des établissements. Elle figure dorénavant en bonne place dans les cartographies des risques (notamment sur les règles de mise en concurrence). Les instances de gouvernance doivent prendre des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence (chapitre 3, art 17).
Un dispositif doit être mis en place selon la significativité des risques :
– Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence (code généralement présent mais dont le contenu peut être légèrement modifié pour intégrer de manière explicite la prévention des faits de corruption) ;
– Un dispositif d’alerte interne (généralement déjà présent au sein des établissements mais à revoir éventuellement sur la protection des lanceurs d’alerte) ;
– Une cartographie des risques ;
– Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
– Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
– Un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés à ces risques ;
– Un dispositif interne de sanctions en cas de manquement ;
– Un dispositif de contrôle adapté.
Si les établissements financiers se sentaient, de prime abord, peu concernés par cet enjeu de corruption en interne, les grands groupes présents à l’international ou les groupes avec des actionnaires non bancaires voire publiques ont été amenés à traiter le sujet de manière spécifique. Il en est de même dans les relations avec les fournisseurs.
Pour superviser le sujet en France, une “Agence française anticorruption” (AFA) est créée, chargée de contrôler la mise en place de programmes anti-corruption dans les entreprises dépassant 500 salariés et au chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. A l’issue des contrôles, l’agence émet un rapport contenant les observations de l’agence sur la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein de la société contrôlée ainsi que, le cas échéant, des recommandations en vue de l’amélioration des procédures existantes (art.17).
5. Le renforcement de la transparence fiscale : l’échange automatique d’informations fiscales(15)
Le Common Reporting Standard (CRS(16)) approuvé par l’OCDE(17) le 15 juillet 2014, les enjeux de la Directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014 (dite DAC 2(18)) sont dorénavant intégrés dans la règlementation française par la loi n°2015‐1786(19) du 29 décembre 2015 (loi de finance rectificative).
Les établissements financiers se préoccupent d’ores et déjà de documenter les comptes des clients et collectent depuis début 2016 des justificatifs ou des auto-certifications de la part des clients (tout en contrôlant la cohérence entre les informations publiques et internes disponibles et l’auto-certification) afin de pouvoir répondre aux exigences du premier reporting au 31r juillet 2017 sur la base de la situation au 31/12/2016 ; le risque étant de devoir déclarer des comptes non documentés.
Les exigences portent sur tous les nouveaux comptes de personne physique, ainsi que sur les comptes de personnes physiques préexistants détenant des montants élevés. Les comptes à faible montant peuvent être mises à jour au 31 décembre 2017.
Pour les personnes morales, les comptes préexistants doivent être mises à jour au 31 décembre 2017. Pour les nouveaux comptes, les comptes doivent être à jour de la documentation nécessaire (statut des clients, résidence fiscale notamment).
Les établissements sont encore dans l’attente d’un décret fixant notamment :
– La liste des États et territoires partenaires (liste des États et territoires qui communiqueront des informations à la France) ;
– La liste des États et territoires donnant lieu à transmission d’informations (liste des États et territoires auxquels la France communiquera des informations) ;
– La liste des montants, plafonds et seuils ;
– La liste des comptes exclus. Il s’agit de la liste des comptes financiers qui sont exclus de diligence et de déclaration.
Les pays qui ne sont pas engagés dans l’échange automatique d’informations sont d’ores et déjà bien souvent perçus, par les établissements financiers, comme des pays à vigilance renforcée au regard des risques de fraude fiscale. A l’instar de Fatca(20) (voire de manière beaucoup plus forte en terme de gestion des bases client), la mise en place de ces échanges est à la fois un enjeu organisationnel pour répondre aux exigences d’identification et de classement des clients et de reporting mais également un enjeu stratégique puisque cette mise en place peut influencer la stratégie en terme de zone géographique de déploiement. En effet, certaines contreparties localisées dans des pays qui ne sont ni conformes à Fatca ni conformes au CRS se voient dorénavant refuser l’accès à certaines banques en terme de flux ou d’entrée en relation.
Les enjeux de Sécurité Financière vont ainsi rester prédominants dans les dispositifs des établissements financiers. Les exigences de conformité se renforcent, ce qui ne doit pas se faire au détriment de leur efficacité dans une approche par les risques. Il ne s’agit pas non plus de ne plus faire (notion de de-risking(21)) mais de faire avec une assurance raisonnable, des moyens adaptés et une traçabilité de ces moyens.
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(1) Ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016. A appliquer au plus tard le 1er juillet 2017.
(2) Communication systématique d’informations (COSI) relative aux opérations de transmission de fonds effectuées à partir d’un versement d’espèces ou au moyen de monnaie électronique (art. L.561-3 et article D 561-31-1 du CMF).
(3) Se reporter au site pour disposer d’informations sur les sanctions prononcées.
(4) GAFI : Groupe d’Action Financière crée en 1989 et comportant 35 pays et territoires, ainsi que de 2 organisations régionales.
(5) Se référer également à l’article L561-9 du CMF modifié par l’ordonnance N°2016-1635.
(6) Ordonnance 2016-1575 du 24 novembre 2016.
(7) Ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016 portant réforme du dispositif de gel des avoirs.
(8) Pour une durée de six mois, renouvelable.
(9) Ainsi le ministère peut procéder à l’inscription d’une opposition à tout transfert du certificat d’immatriculation d’un véhicule appartenant à la personne dont les fonds et ressources économiques sont gelés.
(10) Pour la définition des fonds, se reporter à l’Art. L. 562-1 du CMF.
(11) Versement de prestation sous condition : en informer sans délai le ministre chargé de l’économie.
(12) Se reporter également à la Ligne directrice émise par l’ACPR , « Principes d’application sectoriels de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution relatifs aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans le cadre du droit au compte » du 09/12/16.
(13) « Lignes directrices conjointes de la Direction Générale du Trésor et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs », juin 2016.
(14) Loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
(15) Loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015.
(16) NCD : Norme Commune de Déclaration.
(17) Norme d’échange automatique diffusée par l’OCDE le 21 juillet 2014.
(18) Modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.
(19) A modifié l’article 1649 AC du code général des impôts (CGI) en prévoyant la réception par l’administration fiscale des informations requises par le 3 bis de l’article 8 de la directive 2011/16/UE dite DAC (revue en 2014) et les conventions internationales instituant l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers.
(20) Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA)
(21) Se reporter au document du GAFI sur le correspondent banking services (octobre 2016) qui évoque cette notion de de-risking.