Une présentation des problèmes majeurs posés
En relation avec deux nouvelles formations que nous proposons à l’AFGES, portant l’une sur la tenue de compte-conservation des titres financiers et la garde des actifs détenus par les organismes de placement collectif, l’autre plus générale sur l’AMF et la réglementation des marchés financiers[1], il nous paraît utile de présenter dans cet article une étude du service de tenue de compte-conservation. Ce service est complexe, à la fois sous l’angle technique : notamment comment sont créés les titres financiers, comment sont-ils conservés, comment circulent-ils et sous l’angle juridique : comment en particulier protège-t-on les divers acteurs économiques concernés vis-à-vis des risques que soulève la prestation de ce service ? Ces questions sont souvent méconnues ou mal connues ; elles sont parfois découvertes ou re-découvertes à l’occasion de la réalisation effective, généralement en temps de crise, de ces risques[2]. Voyons de façon introductive comment est définie la tenue de compte-conservation par la réglementation. Nous aborderons ensuite la dimension technique, puis la question de la protection vis-à-vis des risques présentés par la prestation de ce service.
1- Introduction : la définition réglementaire de la tenue de compte-conservation
1-1 La tenue de compte-conservation des titres financiers est définie par la réglementation comme un service d’investissement dit connexe. C’est aujourd’hui la directive sur les marchés d’instruments financiers, dite la directive MIF, qui fournit cette définition. La nouvelle directive, dite MIF 2, qui n’est pas encore entrée en application[3], formule pour ce service le libellé suivant, dans son annexe I section B : « Conservation et administration d’instruments financiers pour le compte de clients, y compris les services de garde et les services connexes, comme la gestion de trésorerie/de garanties, et à l’exclusion de la fourniture centralisée de comptes de titres au plus haut niveau (« service de tenue centralisée de comptes ») (…) ».
1-2 Cette terminologie, pour désigner ce que nous appelons couramment la tenue de compte-conservation appelle quelques commentaires. Tout d’abord pourquoi service connexe ? Sans doute ce service est-il dépendant d’autres services d’investissement, comme l’exécution d’ordres pour compte de tiers. Mais cet adjectif connexe a couramment une connotation négative, en ce qu’il laisse penser que ce service pourrait être moins important que ceux qui sont des services d’investissement à part entière. Pour cette raison, on peut regretter cette qualification. Il a été question, au cours de la préparation de MIF 2 que la tenue de compte-conservation accède au rang de service d’investissement à part entière. Mais cette idée n’a pas prospéré.
1-3 La terminologie de la directive appelle d’autres commentaires, que nous développerons brièvement. Elle mentionne clairement deux dimensions essentielles du service de tenue de compte-conservation : conservation et administration. Il s’agit bien en effet d’un service qui permet de conserver des titres financiers et de les administrer car un titre financier nécessite généralement un travail administratif, comme par exemple le recueil des dividendes destinés aux actionnaires et leur distribution. Nous traiterons ici essentiellement de la conservation, l’administration étant une composante moins stratégique et plus simple.
L’intitulé retenu par la directive ajoute : y compris les services de garde et certains services connexes de gestion de trésorerie et de garanties. Traditionnellement le règlement général de l’AMF se limite, pour définir le service de tenue de compte-conservation, à la conservation des seuls titres financiers, excluant le champ des contrats financiers[4]. On ne peut en effet pas considérer, à la lettre, qu’un teneur de compte-conservateur conserve des contrats comme il conserve des titres. La garde des instruments financiers fait référence dans la terminologie française courante[5] à un champ plus large que la seule conservation des titres financiers en incluant ce que l’on est convenu d’appeler la tenue de position des contrats financiers[6]. La tenue de position, précise le règlement général de l’AMF, consiste à établir un registre des positions ouvertes sur les actifs (autres que ceux faisant l’objet d’une tenue de compte-conservation par le dépositaire). Ce registre identifie les caractéristiques de ces actifs et enregistre leurs mouvements afin d’en assurer la traçabilité »[7]. C’est en partie parce qu’il conserve les titres financiers d’un organisme de placement collectif et assure la tenue de position de ses contrats financiers que le dépositaire de cet organisme est en mesure, comme le prescrit la loi, de s’assurer de la régularité des décisions de l’organisme de placement collectif[8]. Dans le présent article, nous nous en tiendrons à la seule tenue de compte-conservation des titres financiers. Les formations proposées dans le cadre de l’AFGES recouvriront bien, elles, les deux dimensions. Il en va de même pour les services connexes de gestion de trésorerie et de garanties mentionnés par la directive.
1-4 Enfin la directive MIF 2 exclut du champ du service connexe ce qu’elle appelle la fourniture centralisée de comptes de titres au plus haut niveau (« service de tenue centralisée de comptes »). Cette précision est nouvelle. Elle vise ce que l’on appelle le dépositaire central. De même que la Banque de France, pour les espèces, tient de façon centralisée tous les comptes chez elle de toutes les banques, ce qui permet à n’importe quelle banque titulaire d’un compte d’effectuer des virements au profit de n’importe quelle autre banque ayant aussi un compte à la Banque de France, de même les teneurs de compte-conservateurs détiennent tous un compte chez le dépositaire central Euroclear France ce qui permet là aussi à tout teneur de compte-conservateur de virer des titres à un autre teneur de compte-conservateur via les comptes centralisés chez le dépositaire central. Les virements espèces de banque à banque sont une composante essentielle de la circulation de la monnaie; les virements titres de teneur de compte-conservateur à teneur de compte-conservateur sont de même une composante essentielle de la circulation des titres. Les dépositaires centraux ont été explicitement « sortis » par la directive MIF 2 du service connexe pour faire l’objet d’une réglementation à part entière sous la forme d’un règlement européen[9]. Pour autant, techniquement, ils font bien partie intégrante du processus d’émission, conservation, circulation des titres financiers.
1-5 Il convient encore de préciser dans cette introduction que tous les titres financiers sont en France dématérialisés, c’est-à-dire qu’ils ne revêtent plus la forme de titres papiers mais qu’ils existent seulement sous la forme d’écritures comptables tenues de façon informatique. A l’instar de la monnaie scripturale (excluant les billets et les pièces), tous les titres sont scripturaux. Le principe de la dématérialisation des titres a sa source à l’article 94 II alinéa 1 de la loi du 30 décembre 1981. Il figure aujourd’hui à l’article L.211-3 du code monétaire et financier : « Les titres financiers, émis en territoire français et soumis à la législation française, sont inscrits dans un compte-titres tenu soit par l’émetteur, soit par l’un des intermédiaires mentionnés aux 2° à 7° de l’article L.542-1 (les intermédiaires teneurs de compte-conservateurs). » Les titres financiers, sont juridiquement passés de l’état de biens meubles corporels à celui de biens meubles incorporels. Par cette transformation, les titres financiers sont devenus, comme la monnaie, fongibles. Cette évolution a suscité maints débats de doctrine parmi les juristes sur la nature juridique du dépôt de titres financiers. Pour éviter de sortir du cadre limité de cet article, nous ne développerons pas ici ces discussions théoriques, au demeurant déjà anciennes.
Nous présenterons successivement le contenu technique du service de tenue de compte-conservation, puis la question des risques soulevés par la prestation de ce service et la problématique de la protection des investisseurs vis-à-vis de ces risques.
[1] La tenue de compte-conservation des titres financiers – La garde des instruments financiers détenus par les organismes de placement collectif / L’AMF et la réglementation des marchés financiers. Animateurs: Anne Landier-Juglar et Michel Karlin.
[2] Nous songeons particulièrement à la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008.
[3] Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE. La directive doit être transposée au plus tard le 3 juillet 2016 ; ses dispositions sont applicables à partir du 3 janvier 2017.
[4] Article 322-33 du règlement général de l’AMF dont des extraits figurent plus loin au point 3-3-1.
[5] Nous n’approfondirons pas ici le sens de la définition fournie par la directive MIF. Nous ne retiendrons que les concepts habituellement utilisés par la réglementation française. L’emploi des termes concernés dans les versions françaises des directives européennes, notamment directive MIF et directive AIFM, soulève en effet à notre sens des problèmes de cohérence de leur traduction de l’anglais en français.
[6] La liste des instruments financiers est fournie par la directive MIF 2 dans son annexe I, section C. Cette liste mentionne les valeurs mobilières, les instruments du marché monétaire et les parts d’organismes de placement collectif, qui constituent en droit français les titres financiers, une liste de types de contrats financiers ainsi que les quotas d’émissions de CO2 assimilés à des instruments financiers. Le concept de valeurs mobilières utilisé à notre sens de façon contestable par les traducteurs de l’UE recouvre à quelques nuances près les actions et les instruments de taux d’intérêt. Très présent dans le code de commerce, il est en revanche très peu utilisé dans le code monétaire et financier.
[7] Article 323-4 du règlement général de l’AMF.
[8] Article 323-1 du règlement général de l’AMF
[9] Règlement (UE) n° 909/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012.