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La valorisation post-crise : la fin des promesses, l’heure des preuves

1.   INTRODUCTION

En quinze ans, la valorisation d’entreprises semble avoir changé de nature. Longtemps portée par des taux bas, une liquidité abondante et une confiance quasi automatique dans la croissance, elle s’est souvent construite sur des projections plus ambitieuses que démontrables.

Ce modèle paraît aujourd’hui dépassé. La succession de chocs – sanitaires, géopolitiques, énergétiques, monétaires – a replacé la soutenabilité des flux, la maîtrise des risques spécifiques, et la crédibilité de la croissance au cœur des analyses.

Depuis 2023, le marché n’est plus guidé par l’euphorie, ni paralysé par la peur : il est devenu hautement sélectif. Le multiple médian EV/EBITDA des mid-market européennes s’est stabilisé autour de 9.5x, mais les écarts de valorisation se creusent entre entreprises solides et profils plus fragiles qui subissent des décotes marquées.

Dans ce contexte, la valorisation n’est plus un exercice de projection optimiste. Elle tend à devenir une démonstration structurée de la crédibilité du modèle actuel — un langage alignant stratégie, performance et exigences du capital.

Encore faut-il savoir ce qui fonde cette crédibilité : non seulement les fondamentaux (cash, risque, croissance), mais aussi la capacité à les démontrer — de façon structurée, contextualisée et intégrée.

2.    Les trois leviers du réalisme : cash, risque et croissance

Le cash-flow, toujours central mais désormais mieux compris

  • Le cash-flow reste le socle de toute valorisation, mais la logique de volume a cédé la place à une exigence de qualité : visibilité, récurrence, origine.
  • Depuis 2023, les investisseurs exigent une lecture fine des flux : ils veulent comprendre ce qui les rend soutenables, résilients, pilotables.
  • Selon Houlihan Lokey (Q3 2025), les mid-market à cash récurrent obtiennent une prime de valorisation de 15 à 20 %, à risque égal.
  • Cette prime est marquée dans les secteurs à revenus récurrents (santé, services B2B) ; à l’inverse, les modèles cycliques subissent une décote, même s’ils génèrent du cash.
  • Le cash-flow devient un critère distinctif de robustesse, plus qu’un simple agrégat de résultat. C’est un révélateur de maturité managériale, dans un marché où la croissance est moins lisible.
  • Mais la qualité du cash-flow ne se juge pas isolément : elle se lit à l’aune d’un coût du capital revalorisé et de risques désormais quantifiés.

 Le risque, d’hypothèse implicite à variable de pilotage

  • Avant 2020, le risque était souvent modélisé via des référentiels standards (secteurs, zones géographiques, tailles d’entreprise), dans un environnement de taux bas et de stabilité monétaire qui favorisait une approche relativement homogène.
  • Depuis les chocs successifs, une lecture plus différenciée semble s’imposer : les investisseurs attendent des WACC mieux contextualisés, reflétant la résilience perçue de chaque modèle.
  • D’après KPMG, le WACC moyen en zone euro (mid-market) est passé de 6,9 % en 2019 à 8,5 % en 2025, avec une fourchette qui s’est élargie de 5,2–8,2 % à 5,2–10,4 %. Ce glissement traduit une différenciation accrue des profils de risque, non seulement entre secteurs, mais aussi au sein d’un même secteur — en fonction de la structure, de la visibilité et de la gouvernance du modèle.
  • Depuis 2023, les grands groupes intègrent cette pluralité via des scénarios et stress tests. Les ETI modélisent de plus en plus des primes de risque spécifiques (géographiques, énergétiques, devises, ESG), notamment dans les secteurs régulés.
  • Les PME les plus structurées suivent cette dynamique, en particulier dans un contexte de transaction ou de levée. En revanche, les TPE restent souvent dans une approche perceptive mais peu quantifiée du risque, ce qui limite la crédibilité des projections — et donc la valorisation.
  • Le risque n’est plus une variable subie, ni un ajustement en fin de modèle : c’est devenu un critère actif de crédibilité, intégré dans les arbitrages, et visible dans les écarts de valorisation.

La croissance, de promesse à capacité démontrée

  • Jusqu’à la fin des années 2010, la croissance projetée suffisait souvent à soutenir la valorisation : dans un environnement de capital abondant, un business plan ambitieux pouvait faire levier, dès lors que le modèle économique laissait entrevoir un potentiel crédible d’amélioration des marges ou de génération de cash.
  • Le cycle 2020–2022 a marqué un tournant. La hausse du coût du capital, l’inflation et la raréfaction des financements ont replacé une exigence de base : une croissance ne crée de valeur que si elle démontre sa rentabilité et son retour sur capital.
  • Depuis 2023, les critères d’analyse se sont déplacés : ce n’est plus l’intensité de la croissance qui prime, mais sa structure. Les investisseurs valorisent une croissance étayée : structurée, rentable et lisible.
  • Sur le segment mid-market, cette sélectivité s’est renforcée. Selon Argos (T3 2025), les entreprises combinant une croissance organique >5 % et une marge EBITDA stable ou en progression se valorisent autour de 9x l’EBITDA — contre 7x ou moins pour les profils jugés moins lisibles. L’écart de valorisation s’est creusé, traduisant une attente accrue sur la qualité d’exécution.
  • En 2025, la croissance n’est plus une ambition à revendiquer mais une capacité à exécuter, démontrée par les faits. Ce qui soutient la valeur aujourd’hui, c’est l’alignement crédible entre stratégie, exécution et résultats, mesuré dans le temps.

Ces 3 leviers redéfinissent non seulement le contenu de la valorisation mais sa finalité même.

3.  La valorisation en mutation : d’un calcul à une logique de cohérence

De la méthode à la démarche : le virage culturel de la valorisation

  • Les méthodes restent classiques (DCF, comparables, patrimoniale), mais leur usage évolue : la valorisation ne sert plus seulement à fixer un prix, elle tend à devenir un outil d’analyse stratégique.
  • Avant 2020, l’approche était souvent descendante : on ajustait les hypothèses pour faire converger le modèle vers une valorisation cible.
  • Depuis les chocs successifs, une logique plus intégrée s’impose : les hypothèses doivent refléter la cohérence du modèle — entre stratégie, performance, risque et génération de cash.
  • Cette évolution traduit un glissement culturel : la valorisation devient un langage de pilotage, mobilisé au service des arbitrages internes et du dialogue avec les parties prenantes.
  • Ce changement se manifeste dans la façon dont les hypothèses sont désormais auditées, commentées, parfois arbitrées en comité stratégique.

 Des pratiques différenciées selon la taille et le secteur

  • Le changement culturel autour de la valorisation ne suit pas une trajectoire homogène. Il s’est solidement ancré chez les grands groupes et certaines ETI, où il devient un levier structuré d’arbitrage stratégique et de gouvernance financière. Dans les secteurs à revenus récurrents, comme la santé ou la tech, cette maturité soutient des multiples élevés (>11x). À l’inverse, les secteurs plus stables mais à potentiel limité se positionnent autour de 7–8x, leur moindre dynamique étant partiellement compensée par la prévisibilité des marges.
  • Dans les PME et les TPE, la dynamique est plus fragmentée. Certaines PME structurées, notamment dans les services B2B ou la santé, peuvent viser 6–7x lorsqu’elles démontrent une gestion rigoureuse des flux. En revanche, dans les TPE ou les environnements plus cycliques, la valorisation conserve un caractère opportuniste, peu modélisé, avec des multiples souvent limités à 3–5x.

Une hiérarchie du réalisme : la cohérence comme prime de valeur

  • Si les multiples médians EV/EBITDA du mid-market européen semblent stables depuis 2019 (≈ 9,5x selon Argos, T1 2025), cette apparente stabilité masque une polarisation croissante : 32 % des transactions s’effectuent désormais à des niveaux extrêmes (<7x ou >15x), signe d’un marché devenu plus sélectif.
  • Dans les PME, les écarts intra-sectoriels se sont élargis — par exemple dans le secteur des logiciels, où les valorisations varient de 3,7x à 6,6x selon la taille et le profil. Cette dispersion accrue traduit un tri plus rigoureux entre les modèles.
  • Ce différentiel ne s’explique plus uniquement par le secteur ou la croissance projetée. Il reflète la capacité des entreprises à générer du cash de manière récurrente, à piloter leurs risques spécifiques et à démontrer une trajectoire crédible.
  • Deux acteurs d’un même marché peuvent ainsi être valorisés du simple au double selon leur maîtrise opérationnelle, leur structure financière et la cohérence de leur narration stratégique.
  • En 2025, la valorisation ne mesure plus une ambition, mais une capacité démontrée à délivrer : elle devient le révélateur d’une maturité de gestion — celle qui sait articuler performance passée, discipline présente et ambition réaliste.

4.   EN 2026 LA VALORISATION DEVIENT INTÉGRÉE, ÉPROUVÉE ET EXIGEANTE

La dynamique 2023–2025 a consolidé un nouveau paradigme. En 2026, celui-ci se renforce sous l’effet des standards ESG, de la normalisation monétaire et d’une demande accrue de lisibilité.

  • Après une période marquée par l’incertitude, 2026 s’ouvre sur un climat plus lisible — sans pour autant redevenir expansif. L’inflation sous les 3 % et des taux longs stabilisés autour de 2,5 % apportent une forme de clarté, mais pas de relâchement : la sélectivité reste forte, et seuls les modèles solides tirent leur épingle du jeu.
  • La valorisation évolue ainsi vers une logique intégrée, où la création de valeur repose sur la cohérence démontrée entre résultats, stratégie et impact global. Il ne suffit plus d’extrapoler des flux : il faut désormais articuler performance opérationnelle, robustesse financière et engagement extra-financier.
  • L’entrée en vigueur de la directive CSRD pour les ETI dès 2026 illustre ce tournant. L’ESG devient une donnée vérifiable, intégrée dans les hypothèses de valorisation (cash-flow, WACC, pérennité des marges). Les premiers effets sont visibles :
    • Sur l’échantillon européen mid-market, les groupes disposant d’un reporting ESG consolidé affichent en moyenne une prime d’environ 12 % sur les multiples.
    • Les ETI les plus structurées tirent parti de cette exigence pour faire valoir la stabilité de leurs flux dans des secteurs comme l’agroalimentaire, les services ou les utilities.
    • Même certaines PME traduisent leur politique RSE en gains tangibles : réduction des coûts, fidélisation RH, ou capacité à résister aux chocs.
  • En 2026, la valorisation s’affirme comme un exercice de cohérence totale, entre chiffres, stratégie et responsabilité.

5.   La valorisation, miroir de la maturité

En 2025, la valorisation ne repose plus sur des promesses mais sur des preuves. Là où l’on ajustait autrefois les modèles pour faire tenir une ambition, le marché exige désormais une cohérence démontrée : entre performance opérationnelle, maîtrise des risques et soutenabilité financière.

Ce basculement n’est pas une rupture brutale mais l’aboutissement d’une transformation progressive : celle d’un marché devenu plus sélectif, plus rigoureux et plus attentif à la crédibilité des trajectoires. Le cash-flow ne suffit plus s’il n’est pas lisible, le risque ne se tolère que s’il est piloté, la croissance ne vaut que si elle est prouvée. La valorisation devient ainsi un test de maturité : managériale, stratégique et extra-financière.

Cette exigence s’accentue à l’orée de 2026. Dans un environnement stabilisé mais sans relâchement, la valorisation devient le reflet d’un alignement stratégique, où les promesses ne valent que par la rigueur de leur exécution. La prime ne va plus à ceux qui savent séduire mais à ceux qui savent exécuter et expliquer.

REFERENCES :

Argos WityuArgos Index® Mid-Market – T1 & T3 2025
KPMG GermanyCost of Capital Study 2019 & 2025
Dealsuite FranceRapports Fusac H1 2020, S1 2021, Septembre 2025
PitchBookEuropean Valuation & Cost of Capital Report – Q3 2025
PwCCSRD Readiness Guide – 2025
Houlihan LokeyValuation Index Europe Q3 2025
BpifranceRSE & compétitivité des PME – 2025

 

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Pour toute information : contact@afges.com – tél. 01 70 61 48 60

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