L’output Floor représente une des mesures majeures de la CRR3 en application des textes de finalisation de Bâle III. Ce qui semble a priori être un simple nouveau ratio ou indicateur supplémentaire à produire, a en fait un impact considérable au sein des banques utilisant les modèles internes. Ces impacts sont tant en termes de capital, de stratégie et de business, organisationnels, systèmes de production et IT, gouvernance, communication financière. Cet article recapitule les principaux impacts et enjeux afin de permettre aux lecteurs d’appréhender au mieux l’output Floor.
1. Justification et Mise en Œuvre de l’Output Floor
1.1. La crainte de la sous-estimation des besoins de fonds propres par les modèles internes mise en exergue par la crise financière de 2008
La CRR3 et la CRD6 s’inscrivent dans un cadre réglementaire visant à renforcer la résilience des banques européennes après la crise financière mondiale de 2008. Ces textes intègrent des mesures spécifiques pour limiter les risques liés à la sous-estimation présumée des besoins en fonds propres par les modèles internes. Les risques de sous-estimation des exigences de capital découlent en général de la complexité ou des erreurs potentielles dans les modèles internes. Cette sous-estimation, si elle est avérée, pose des risques pour la stabilité financière :
- Cette crise de 2008-2009 a révélé que les modèles internes utilisés par les banques avaient tendance à sous-estimer les risques, en particulier pour certains types d’expositions et de risques.
- En conséquence, les exigences en fonds propres basées sur ces modèles étaient souvent insuffisantes, exposant les banques à des risques plus élevés et compromettant la stabilité du système financier.
1.2. La nécessaire introduction de l’output floor pour améliorer la comparabilité et la crédibilité des banques et réduire le risque de sous capitalisation
L’output floor vise donc à corriger les insuffisances des modèles internes en fixant un niveau minimum de capital que toutes les banques doivent maintenir, indépendamment des modèles internes qu’elles utilisent. L’objectif est de limiter la réduction excessive de capital qui pourrait découler de l’utilisation de modèles internes trop optimistes.
Ce nouveau dispositif uniformise les exigences de fonds propres entre les banques utilisant des approches standardisées et celles ayant recours à des modèles internes sophistiqués.
L’output Floor limite l’avantage que les banques peuvent tirer de l’utilisation de modèles internes pour calculer les exigences de fonds propres, en établissant un seuil minimum en dessous duquel ces exigences ne peuvent descendre.
L’output floor contribue également à créer des conditions de concurrence équitables entre les banques utilisant des approches différentes, en veillant à ce que les calculs de fonds propres soient suffisamment prudents pour garantir la stabilité du secteur financier. La mise en œuvre de l’output floor permettra ainsi d’améliorer la comparabilité des ratios de capital des banques et à restaurer la crédibilité des modèles internes.
2. NIVEAU DE l’Output Floor ET CALENDRIER DE MISE EN OEUVRE
2.1. Définition de l’Output Floor
L’output floor est défini comme un seuil minimum exprimé en pourcentage des exigences en fonds propres calculées selon l’approche standardisée. Il est conçu pour garantir que les banques qui utilisent des modèles internes respectent un niveau de fonds propres qui ne soit pas inférieur à un pourcentage fixe de ce que serait leur exigence en fonds propres si elles utilisaient l’approche standardisée.
2.2. Niveau de l’Output Floor
Le niveau de l’output floor est fixé à 72,5% des exigences calculées selon les méthodes standardisées. Cela signifie que même si une institution utilise des modèles internes pour calculer ses exigences en fonds propres, elle ne peut pas réduire ces exigences au-delà de 27,5 % par rapport à ce qui serait requis si elle utilisait les méthodes standardisées.
Ce seuil a été déterminé pour équilibrer les exigences entre les banques qui utilisent des modèles internes avancés et celles qui utilisent des méthodes standardisées, tout en offrant une flexibilité aux premières pour des ajustements dans le temps. Le niveau de 72,5% reflète un compromis entre la nécessité de maintenir une cohérence en matière de capital et l’encouragement à l’utilisation des modèles internes.
2.3. Mise en œuvre progressive de l’output floor de 2025 A 2030
La mise en œuvre de l’output floor est échelonnée sur plusieurs années pour permettre aux banques de s’adapter progressivement. Par exemple, les banques pourront appliquer un facteur d’ajustement initial de 50 % en 2025, qui augmentera progressivement jusqu’à atteindre 70 % en 2029 et 72,5% en 2030. Ce calendrier permet aux banques de gérer leur capital plus efficacement sans subir de chocs brusques.
3. Ajustements spécifiques relatives à la mise en place de l’output Floor
Les périodes de transition et les ajustements spécifiques jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre des nouvelles règles issues du cadre finalisé de Bâle III au sein de l’Union Européenne. Ceci est particulièrement vrai pour les prêts immobiliers, les entreprises non notées, les positions de titrisation, les financements spécialisés et les expositions sur titres financiers. Ces mesures permettent aux banques de s’adapter progressivement aux nouvelles règles, en atténuant les impacts potentiels tout en minimisant les risques pour la stabilité financière et l’économie réelle.
3.1. Prêts aux entreprises non notées et période de transition
La plupart des entreprises de l’Union ne cherchent pas à obtenir de notations de crédit externes. Pour éviter un impact perturbateur sur le prêt bancaire aux entreprises non notées, il est nécessaire de prévoir une période de transition.
Pendant cette période, les banques utilisant l’approche IRB vont pouvoir appliquer un traitement favorable pour les expositions de qualité d’investissement (Investment Grade) aux entreprises non notées pendant la période de transition. Cette approche vise à encourager l’utilisation des notations externes tout en évitant une réduction immédiate de l’accès au crédit pour les entreprises non notées.
3.2. Traitement des expositions à la titrisation et ajustements pour la sensibilité au risque
L’introduction de l’output Floor pourrait avoir un impact significatif sur les exigences de fonds propres pour les positions de titrisation. Pour éviter les conséquences imprévues dues à un manque de sensibilité au risque dans les normes de Bâle III, un traitement transitoire est nécessaire pour les expositions à la titrisation qui respectent des critères stricts.
L’EBA va évaluer la nécessité de réviser le traitement prudentiel des transactions de titrisation dans ses prochains travaux.
3.3. Périodes de Transition pour les Prêts Immobiliers Résidentiels
Les prêts immobiliers résidentiels, en particulier ceux considérés comme à faible risque, bénéficient de dispositions transitoires spécifiques pour éviter une augmentation soudaine des exigences en fonds propres qui pourrait perturber le marché immobilier.
3.3.1. Dispositions pour les prêts hypothécaires à faible risque
Pendant la période de transition, les banques utilisant l’approche basée sur les notations internes (IRB) peuvent appliquer un poids de risque réduit pour la partie de leurs expositions sécurisée par un prêt hypothécaire sur une propriété résidentielle, en utilisant l’approche standardisée (SA-CR). Cette mesure vise à éviter une augmentation brutale des exigences en fonds propres pour ces prêts, ce qui pourrait nuire à la disponibilité et à l’accessibilité des prêts immobiliers.
3.3.2. Critères d’éligibilité des prêts immobiliers residentiels pouvant bénéficier de traitement dérogatoire dans le cadre du calcul de l’output floor
Les prêts immobiliers doivent répondre à certains critères d’éligibilité pour bénéficier de ce traitement favorable. Ces critères sont basés sur des concepts établis dans l’approche standardisée, et la conformité de ces critères doit être vérifiée par les autorités compétentes. Ces critères visent à garantir que seules les expositions présentant un faible risque de crédit peuvent bénéficier des ajustements transitoires.
3.3.3. Adaptabilité du cadre par les États membres
Étant donné que les marchés immobiliers peuvent varier considérablement d’un État membre à l’autre, la décision d’appliquer ou non ces arrangements transitoires est laissée à la discrétion des États membres. Cette flexibilité permet d’adapter la réglementation en fonction des spécificités locales du marché immobilier.
3.4. Financements Spécialisés
Les financements spécialisés, souvent utilisés pour des projets tels que les infrastructures, les financements d’objets (ex. financements d’avions ou de navires) ou les financements de matières premières, présentent des risques et des caractéristiques particuliers qui nécessitent des ajustements spécifiques. Toutefois ces prêts spécialisés doivent respecter un ensemble de critères capables de réduire leur profil de risque à des normes de haute qualité compatibles avec une gestion prudente des risques financiers. Cela permet de soutenir les secteurs qui dépendent fortement de ces types de financements tout en maintenant des pratiques de gestion des risques rigoureuses.
3.5. Ajustements pour les transaction de financement de Titres (sft)
Les transactions de financement de titres (SFT), qui comprennent des opérations de prêt de titres et de mises en pension, pourraient subir une augmentation significative des exigences en fonds propres sous l’effet combiné de l’introduction de l’output floor et des règles de crédit.
Pour tenir compte de la nature à court terme de ces transactions, et afin d’éviter un impact négatif sur la liquidité des marchés de la dette et des titres, y compris les marchés de la dette souveraine, l’EBA est chargée de rendre compte de l’adéquation et de l’impact des normes de risque de crédit pour ces transactions. Si nécessaire, une adaptation des normes pourrait être envisagée pour mieux refléter leur nature à court terme.
3.6. Surveillance et Adaptation Continue
Pour garantir l’efficacité des ajustements transitoires et éviter les distorsions de marché, des mécanismes de surveillance et de révision sont en place.
3.6.1. Rôle de l’EBA et de l’ESMA
L’EBA, en collaboration avec l’ESMA et d’autres organismes, surveille l’utilisation des traitements transitoires et évalue leur impact sur la stabilité financière et la compétitivité des banques européennes. Les deux autorités sont chargées de fournir des rapports réguliers à la Commission européenne, avec des recommandations sur les ajustements nécessaires pour maintenir un environnement financier stable et équitable.
3.6.2. Propositions législatives futures
Sur la base des rapports fournis par l’EBA et d’autres organismes, la Commission européenne pourra soumettre des propositions législatives pour ajuster les cadres réglementaires et de surveillance. Cela garantit que les règles restent adaptées aux évolutions du marché et aux standards internationaux, tout en protégeant les intérêts des déposants et en maintenant la stabilité du système financier de l’Union.
4. niveaux de Calcul de l’Output Floor : Base Individuelle et Consolidée
4.1. cadre général de calcul aux différents Niveaux de Consolidation
L’output floor doit s’appliquer à tous les niveaux de consolidation, y compris les niveaux individuels, sous-consolidés et consolidés. Toutefois, un État membre peut décider de ne pas appliquer l’output floor sur une base individuelle ou sous-consolidée pour certaines banques, comme les groupes coopératifs avec un organe central et des banques affiliées situées dans cet État. Dans de tels cas, il est impératif que l’institution mère, au niveau le plus élevé de consolidation dans cet État membre, respecte l’output floor sur une base consolidée. Cette flexibilité permet de tenir compte des structures spécifiques des groupes bancaires tout en garantissant que les objectifs de stabilité financière et de protection des déposants sont atteints.
4.2. Application de l’output floor sur une Base Individuelle
4.2.1. Principe de du calcul de l’output floor sur Base Individuelle
L’application de l’output floor sur une base individuelle concerne chaque entité juridique ou filiale au sein d’un groupe bancaire. Chaque entité doit donc vérifier si ses exigences en capital, calculées à partir de ses propres modèles internes, respectent le niveau minimum fixé par l’output floor.
4.2.2. Calcul des Exigences en Fonds Propres
Pour chaque entité, les exigences en fonds propres sont d’abord calculées en utilisant les modèles internes approuvés pour les différents types de risques. Ensuite, ces exigences sont comparées à celles qui seraient obtenues en utilisant les méthodes standardisées pour les mêmes types de risques. L’output floor est appliqué en fixant les exigences en capital à 72,5 % (ou disposition transitoire en vigueur) des calculs standardisés si les résultats des modèles internes sont inférieurs à ce seuil.
4.2.3. Importance de l’Approche Individuelle
L’application sur une base individuelle est cruciale pour garantir que même les petites entités au sein d’un groupe bancaire maintiennent un niveau adéquat de capitalisation. Cela empêche une entité de prendre des risques excessifs ou de sous-capitaliser en se basant uniquement sur des modèles internes potentiellement optimistes.
4.2.4. Considérations pour les Petites Filiales
Les petites filiales ou entités spécialisées, souvent avec des profils de risque très spécifiques, peuvent être affectées par l’application individuelle de l’output floor. Celles-ci devront adapter leurs pratiques de gestion du capital pour s’assurer qu’elles restent conformes, même si leur profil de risque intrinsèque est considéré comme plus faible par leurs modèles internes.
4.3. Application de l’output floor sur une Base Consolidée
4.3.1. Principe du calcul de l’output floor sur Base Consolidée
Sur une base consolidée, l’output floor est appliqué à l’ensemble du groupe bancaire, prenant en compte toutes les entités juridiques, y compris les filiales et les succursales, dans le calcul des exigences en capital.
4.3.2. Calcul Consolidé des Exigences en Fonds Propres
Le groupe bancaire calcule d’abord les exigences en fonds propres consolidées en utilisant les modèles internes agrégés. Ensuite, il calcule les exigences consolidées en utilisant les approches standardisées pour tous les types de risques. Si les exigences en fonds propres calculées par les modèles internes du groupe sont inférieures à 72,5 % (ou disposition transitoire en vigueur) des exigences basées sur l’approche standardisée, alors l’output floor s’applique et fixe le seuil minimal.
4.3.3. Effet de Diversification de l’output floor
L’un des avantages de l’application consolidée est la prise en compte des effets de diversification des risques au sein du groupe. Une application consolidée permet de mieux refléter la réalité économique d’un groupe bancaire qui opère dans différents segments de marché et juridictions. Cependant, elle doit aussi veiller à ne pas diluer la responsabilité individuelle des entités.
4.3.4. Régulation et Surveillance
Les autorités de régulation surveillent de près le respect de l’output floor sur une base consolidée pour s’assurer que les groupes bancaires ne contournent pas les exigences minimales en capital en déplaçant des risques au sein du groupe. Cela implique une analyse détaillée des rapports financiers consolidés et des pratiques de transfert de risques entre les entités du groupe.
5. Les Exigences de Publication de l’Output Floor
5.1. Importance des Exigences de Publication
Ces exigences de publication visent à renforcer la transparence et la responsabilité dans le secteur bancaire. En exigeant des banques qu’elles divulguent des informations détaillées sur l’application de l’output floor, les superviseurs peuvent mieux surveiller et évaluer la santé et la résilience du système bancaire. Cela aide également à renforcer la confiance des investisseurs et des parties prenantes dans la robustesse des banques, en garantissant que les niveaux de capital sont suffisants pour couvrir les risques.
L’application cohérente et transparente de ces exigences de publication est essentielle pour atteindre les objectifs de stabilité financière et de protection des déposants fixés par les réformes de Bâle III, et pour garantir que le système bancaire de l’Union européenne demeure solide et résilient face aux crises futures.
5.2. Détails des Exigences de Publication
5.2.1. Niveau de l’Output Floor
Les banques doivent publier le niveau de l’output Floor appliqué à leurs calculs de fonds propres. Cela inclut des informations sur la manière dont l’output floor a influencé leurs exigences de fonds propres par rapport à ce qui aurait été calculé en utilisant uniquement les modèles internes.
5.2.2. Méthodologie Utilisée
Les banques doivent décrire les méthodes utilisées pour intégrer l’output Floor dans leurs modèles de calcul de risques. Cela comprend des explications sur l’application des approches standardisées et internes, ainsi que sur les ajustements apportés pour aligner les pratiques internes sur les normes internationales.
5.2.3. Impact sur les Exigences de Fonds Propres
Il est important que les banques fournissent des détails sur l’impact de l’application de l’output floor sur leurs exigences de capital globales. Cela permet aux régulateurs et aux investisseurs de comprendre comment les pratiques de gestion des risques influencent la stabilité financière de l’institution.
5.2.4. Information sur les Transitions et Ajustements
Dans la mesure où des ajustements transitoires sont appliqués, les banques doivent fournir des informations sur la durée et la nature de ces ajustements. Par exemple, la transition progressive vers un output floor complet, étalée sur plusieurs années, devrait être clairement documentée.
5.2.5. Introduction des exigences de corep sur l’output floor
Les banques doivent soumettre des rapports réguliers détaillant l’application de l’output floor et son impact sur les calculs de fonds propres, assurant ainsi un suivi constant et une évaluation continue par les autorités de surveillance.
6. Directives et Suivi par l’EBA
L’EBA est chargée d’émettre des guidelines d’ici le 10 avril 2025 pour préciser comment les autorités compétentes doivent intégrer le fait qu’une institution est soumise à l’output floor dans leur processus de revue et d’évaluation. Cela inclut des instructions sur la communication et la divulgation de l’impact sur les exigences de surveillance.
Ces directives sont essentielles pour assurer une mise en œuvre cohérente et efficace de l’output floor à travers l’Union européenne, en garantissant que les exigences en fonds propres reflètent de manière appropriée les risques auxquels les banques sont exposées.
7. Références