1. Introduction
Avec la mise en œuvre de la CRR3, le paysage prudentiel européen connaît une transformation profonde dans le traitement du risque opérationnel. Les multiples approches qui coexistaient auparavant – standards ou basées sur des modèles internes – laissent place à une méthode unique : la SMA. Ce changement marque l’entrée dans un régime qui se veut simplifié, harmonisé et davantage orienté vers la comparabilité. Mais derrière la simplification affichée, ce nouveau dispositif exige des banques une refonte complète de leurs processus de calcul et de reporting.
2. Le Business INDICATOR : un pivot prudentiel
- Le BI est l’élément central de la réforme. Il se calcule à partir des états financiers des banques et comprend trois composantes :
- Interest, Leases & Dividends Component (ILDC) : revenus et charges d’intérêts, revenus locatifs et dividendes.
- Services Component (SC) : frais, commissions et autres charges d’exploitation.
- Financial Component (FC) : résultats des portefeuilles de trading et banking.
- L’EBA a précisé via des RTS et ITS les postes FINREP à retenir, les exclusions possibles et le traitement des événements exceptionnels.
3. Le traitement des opérations exceptionnelles
- Fusions et acquisitions
Lors d’une acquisition, le BI consolidé doit inclure les données historiques des entités acquises sur trois ans. Si celles-ci sont indisponibles, des méthodes alternatives, comme le facteur M&A ou l’utilisation de prévisions financières, sont prévues afin de préserver la cohérence du calcul.
- Cessions
Pour éviter une inflation artificielle du BI, les entités cédées peuvent, sous conditions, être exclues du périmètre. Un seuil de matérialité fixé à 5 % du Net Operating Income (NOI) annuel automatise les autorisations pour les petites cessions, réduisant la charge administrative.
- L’innovation de la Prudential Boundary Approach (PBA)
Cette approche vise à neutraliser certains effets comptables qui gonfleraient artificiellement le FC, par exemple liés à des opérations de couverture. Strictement encadrée, elle garantit que le calcul reflète la réalité économique et limite les possibilités d’arbitrage réglementaire.
4. Un nouveau cadre COREP BIC
- Le reporting prudentiel repensé
La CRR3 s’accompagne d’un nouveau jeu de reporting COREP, conçu pour évaluer la conformité et assurer une comparabilité maximale. Quatre templates principaux sont introduits :
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- 01 : exigences de fonds propres BIC,
- 02 : décomposition du BI par sous-composante,
- 03 : ventilation des pertes liées aux événements de risque opérationnel,
- 04 : données relatives aux filiales bénéficiant de dérogations spécifiques.
- Un calendrier serré
Le déploiement suit plusieurs étapes :
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- T3 2025 : publication du paquet technique provisoire (DPM, taxonomie XBRL, règles de validation),
- T4 2025 : publication du paquet technique final,
- Mars 2026 : première date de référence pour les nouveaux modèles de reporting.
Une période transitoire de six mois permettra l’utilisation de proxys ou d’estimations afin de laisser aux établissements le temps d’adapter leurs systèmes.
5. Les enjeux et impacts pour les établissements
- Une simplification qui cache des défis
En apparence, le dispositif réduit la complexité et abolit les modèles internes, mais il impose aux banques une réorganisation profonde de leurs systèmes comptables et de reporting. La granularité exigée, notamment pour les pertes opérationnelles, nécessitera des ajustements importants.
- Une meilleure comparabilité et proportionnalité
Le nouveau cadre garantit un alignement plus étroit entre FINREP et COREP et renforce la comparabilité entre établissements européens. La proportionnalité est préservée : seules les données nécessaires sont exigées, afin de limiter la charge pour les institutions plus petites.
- Une étape vers la résilience du secteur
Au-delà de la technique, le BIC doit renforcer la discipline prudentielle et rapprocher l’UE des standards internationaux. La robustesse du calcul contribuera à mieux protéger les déposants et investisseurs et à renforcer la résilience du système bancaire face aux risques opérationnels.
6. Conclusion
La réforme introduite par la CRR3 et centrée sur le Business Indicator Component constitue un tournant pour la gestion prudentielle du risque opérationnel. En remplaçant la pluralité des approches par un modèle unique, elle promet plus de clarté, de comparabilité et de robustesse.
Mais cette simplification n’exclut pas la complexité opérationnelle de la mise en œuvre : les banques devront ajuster leurs systèmes, intégrer les nouvelles règles de reporting COREP et s’approprier les spécificités du BI et de la PBA.
Le succès de cette transition dépendra de la capacité des établissements à anticiper ces défis, mais aussi de l’accompagnement réglementaire pour assurer une montée en charge fluide. En filigrane, se dessine un objectif stratégique : renforcer la confiance et la résilience du secteur bancaire européen dans un environnement où les risques opérationnels n’ont jamais été aussi visibles.