1. Introduction
Depuis la crise des subprimes, la titrisation souffre d’une réputation de produit opaque et dangereux. Assimiler l’outil à ses dérives revient pourtant à « jeter le moteur avec la voiture ». Le cadre STS – Simple, Transparent et Standardisé, en vigueur depuis 2019, a précisément été conçu pour remettre la titrisation au service de l’économie réelle, en réconciliant robustesse prudentielle et financement efficace. À l’heure où l’Union des marchés de capitaux veut canaliser l’épargne vers les PME et la transition verte et digitale, comprendre les forces et les limites du régime STS est devenu stratégique.
2. Le régime STS : LE RENOUVELLEMENT DE LA CONFIANCE !
- Simplicité, transparence et standardisation
Le label STS impose des structures normalisées, une documentation claire et des obligations de publication détaillées – notamment via l’article 7 du règlement SECR – afin de permettre une due diligence rigoureuse et comparable. L’alignement des intérêts est renforcé par une rétention minimale de 5 % du risque par l’initiateur, ce qui réduit l’aléa moral et éclaire la qualité des actifs sous-jacents.
- Bénéfices économiques et traitement prudentiel
En libérant des capacités réglementaires pour les banques, la titrisation relance le crédit, diversifie les sources de financement – en particulier pour les PME – et offre aux investisseurs institutionnels des profils rendement-risque attractifs. Le cadre CRR et Solvency II prévoit un traitement préférentiel des positions STS, tandis que l’ESMA et les autorités nationales encadrent les notifications et la vérification par des tiers.
3. Un marché en mutation : progrès, débats et ajustements
- Dynamiques récentes et montée des synthétiques STS
- De 2020 à 2023, les émissions se sont stabilisées avec un essor marqué des titrisations synthétiques on-balance-sheet labellisées STS. Les transactions privées dominent, souvent sous forme synthétique, et la concentration géographique demeure forte (Allemagne, Pays-Bas, France, Espagne, Italie).
- La titrisation s’affirme moins comme un pur canal de financement primaire que comme un outil de gestion du capital et de transfert de risque.
- Débats-clés : rétention, CLO[1] et sponsor
Les investisseurs discutent d’un relèvement de la rétention pour certaines synthétiques STS (de 5 % vers 15–20 %) afin de renforcer l’engagement des banques. L’éligibilité de véhicules CLO tiers interroge la notion de « finalité unique » et conduit les régulateurs à préciser la notion de « revenus prédominants ». L’élargissement prudent de la définition de « sponsor » à des gestionnaires régulés est envisagé, en évitant les « coquilles vides ».
- Transparence et proportionnalité
Les templates actuels et les données ligne-par-ligne sont jugés lourds pour des portefeuilles granulaires ou revolving et pour les transactions privées. Une révision ciblée de l’article 7 SECR est discutée : templates simplifiés pour le privé, données agrégées lorsque pertinent, et extension du reporting aux private deals via les repositories, afin d’alléger les coûts sans affaiblir l’information des investisseurs seniors.
4. Exigences de marché : conformité, due diligence et supervision
- Frictions d’exécution et « quick fixes »
Les acteurs signalent des contraintes d’homogénéité de portefeuilles – notamment pour les PME multi-juridictionnelles – des exigences de collatéral coûteuses et des délais serrés pour livrer historiques de performance et modèles cash-flows avant le pricing. Permettre la notification STS immédiatement après le pricing, dès lors que tous les critères sont respectés, éviterait de pénaliser des opérations saines. D’autres réglages techniques portent sur le retrait d’expositions, l’allocation des pertes, l’amortissement des tranches et l’harmonisation du Synthetic Excess Spread.
- Due diligence : substance avant format
L’article 5 SECR[2] est jugé trop prescriptif et peu proportionné. Une approche centrée sur la substance de l’information, plutôt que sur un format unique, faciliterait l’investissement – y compris hors UE – tout en maintenant une analyse approfondie des risques. Sur le secondaire, documenter la due diligence dans un délai bref après l’exécution sécuriserait la liquidité. Clarifier la délégation à des gestionnaires externes garantirait la responsabilité ultime de l’investisseur.
- Vers une supervision plus cohérente
La mosaïque actuelle de 48 autorités et des ESAs[3] engendre des pratiques hétérogènes. Deux pistes émergent : renforcer la convergence en s’appuyant sur des hubs existants, ou bâtir une structure conjointe de supervision pour homogénéiser les contrôles et soutenir un marché plus efficace et intègre.
5. SECR 2.0 : ouvrir sans fragiliser
- Champ d’application et label STS
Dès qu’une partie établie dans l’UE participe, le SECR s’applique, y compris aux transactions « mixtes » UE/hors UE. L’éligibilité STS pourrait être accordée lorsque l’originator et/ou le sponsor sont basés dans l’UE, même si le SSPE est offshore, sous réserve de garde-fous de supervision.
- Public versus privé et définition
Redéfinir la « publicité en substance » – admission à la cote ou offre élargie – permettrait d’étendre la transparence via les repositories. Sans changer la définition générale de la titrisation, une approche par sous-segments éviterait d’englober des structures non pertinentes tout en assurant un traitement prudentiel adéquat.
6. Conclusion
Le label STS a replacé la titrisation sur des rails de simplicité, de transparence et d’alignement, au service d’objectifs macroéconomiques européens. Les réformes en cours – proportionnalité du reporting, clarification de la rétention et du rôle des sponsors, convergence de la supervision, ajustements techniques – visent un même cap : un marché plus profond, plus lisible et mieux protégé. Si la peur héritée des subprimes s’estompe, c’est parce que l’UE privilégie désormais la substance, la responsabilité et la comparabilité. La question n’est plus de savoir si la titrisation a sa place, mais comment accélérer une STS 2.0 capable de financer la transition verte et digitale sans rien céder sur la solidité prudentielle.
Références
SECr : REGULATION (EU) 2017/2402 OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL REGULATION (EU) 2017/2402 OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL of 12 December 2017 laying down a general framework for securitisation and creating a specific framework for simple, transparent and standardised securitisation, and amending Directives 2009/65/EC, 2009/138/EC and 2011/61/EU and Regulations (EC) No 1060/2009 and (EU) No 648/2012
https://www.esma.europa.eu/publications-and-data/interactive-single-rulebook/secr
ECB – Guide on the notification of securitisation transactions
[1] Les Collateralized Loan Obligations (CLO)
[2] L’article 5 du règlement SECR impose aux investisseurs institutionnels de vérifier plusieurs critères avant de s’engager dans une titrisation.
[3] AUTORITÉS EUROPÉENNES DE SUPERVISION (European Supervision Authorities – ESA)
Pour toute information : contact@afges.com – tel 01 70 61 48 60